La Cuisine

Une petite cuisine emcombrée...

Accoudé à une gazinière graisseuse, Edward était perdu dans ses pensées. Il n'y avait pas de doute, c'était "elle". Pourquoi n'avait-il pas été capable de lui faire face ? Pourquoi s'était-il enfui ?

Le jeune homme lâcha un soupir et attrapa un couteau de cuisine qui traînait. Il le lança plusieurs fois en l'air, le rattrapant à chaque fois par la pointe, jusqu'à en être lassé et le remettre à sa place.

Il secoua la tête pour chasser ces pensées et, avisant la montagne de boulot qu'il lui restait, se décida à se mettre à l'ouvrage... à la plonge. Le boulot au Se7en n'était pas vraiment de tout repos, et ce n'était pas non plus le plus agréable. Mais ça lui permettait de garder l'oeil sur les activités des mutants en ville, tout en lui donnant de quoi vivre. Ce n'était pas ainsi qu'il mettrait à profit son diplôme d'ingénieur, mais ça lui convenait. En plus, personne ne faisait attention à lui. Autant d'ennuis évités.

Il fit couler l'eau, se brûla, pesta, fit jouer le mitigeur quelques secondes, et se mit au travail. Il se retourna trois secondes avant que la poignée de la porte ne bouge. Ai, la fille qui travaillait avec lui comme serveuse venait de rentrer. Il ne la connaissait pas vraiment, n'ayant jamais trouvé nécessaire d'entamer la conversation. Il s'apprêtait à se remettre au travail quand un détail retint son attention. Il fronça simplement les sourcils.

"Tu saignes" fit-il en s'escrimant à nettoyer un dépôt étrange au fond d'un verre
*Bon dieu mais qu'est-ce qui a pu faire un truc aussi dégueulasse ? Pas mes cocktails en tous cas... j'espère.*

J’ai poussé la porte, qui grinça, comme à son habitude, pour me retrouver dans cette petite cuisine encombrée et surchauffée par ces mois d’hivers. La différence de température me frappa au visage, et raviva la blessure à mon bras. Le sang se remit à couler le long de mon bras, et je grimaçai. La plupart de mes sens avaient été endommagés par les charmants soins du docteur Bernardini, mais la douleur existait toujours, destructrice, me rongeant de l’intérieur et me forçant à un repos mettant en péril mes projets.

Je fermai la porte, avant de remarquer la présence du plongeur, un homme, dont je ne savais pas s’il était mutant ou humain. Je ne lui avais jamais parlé avant, ne lui trouvant aucun intérêt. Et s’attaquer au personnel du Se7en pourrait se révéler plus dangereux que d’attaquer des mutants isolés. Il fronça les sourcils en remarquant que je saignais, et je ne pu m’empêcher d’admirer son sens de l’observation, la manche de ma veste grise était poisseuse et entièrement rougie de mon sang. Je lui adressai l’un de mes sourires de victimes, accompagné d’un regard triste, et j’enlevai ma veste, dévoilant mes bras nus et mon t-shirt blanc couvert de sang, afin qu’il pu apercevoir sur mon bras les deux lettres gravées... Avec une grimace, je lui adressai les premiers mots depuis que nous travaillions ensemble. Ma voix était froide, rauque, légère et quelque chose de désespéré mais de surpris, également, semblait se trouver à l’intérieur.

J’ai eu un… petit problème. Mais ça va, maintenant… je…

Je ne pu terminer ma phrase, ma tête s’était mise à tourner, et je m’appuyai du bras droit sur le plan de travail. Bien mal m’en prit, c’était ce bras qui me faisait souffrir, et il lâcha aussitôt. Je me retrouvai sur le sol, furieuse contre moi-même, ne pouvant empêcher quelques larmes de couler sur mon visage.

Edward regarda la jeune femme tomber au sol, sans surprise. De toute façon il n'aurait pas eu le temps de la rattraper, même s'il avait essayé. Il termina d'éliminer les dernières traces de dépôt au fond du verre, le posa sur l'égouttoir, attrapa le torchon qui traînait quelque part sur la gauche, le jeta sur son épaule et s'approcha de la jeune fille étendue par terre.

S'agenouillant près d'elle, il la mit sur le dos et lui releva légèrement la tête. Elle était encore consciente... c'était un début. Il la souleva sans douceur, et la transporta sur son épaule jusqu'à une chaise posée dans un coin. Il s'absenta quelques secondes et revint avec une bonne quantité de papier essuie-tout humide. Il attrapa le bras blessé de sa collègue, et commença à le nettoyer, en prenant garde à ne pas trop appuyer sur les endroits blessés. Il fronça une nouvelle fois les sourcils en regardant les lettres qu'elle porterait probablement gravées dans sa peau... à vie.

"T'es pas bien de te balader comme ça. Faut que t'ailles voir un médecin. J'dois terminer ma plonge, je t'emmène après, si tu veux."

Laissant là la jeune femme, il retourna devant son bac et s'attaqua aux assiettes... Il lâcha un soupir las. Ce boulot était quand même plutôt déprimant, parfois.

Je tentai de me relever, plusieurs fois, mais je restai pathétiquement étalée sur le ventre, mes bras trop faibles que pour pouvoir m’appuyer dessus. Je déteste réellement ces moments de faiblesses intenses, mais le fait qu’il existe un témoin à l’une des ces scènes était un supplice, une véritable torture. Des larmes de rages et d’impuissance inondant mes joues, je me jurai qu’un jour, il mourrait. Que je le tuerais de ma propre main, en lui rappelant cruellement ce jour où il m’avait vue m’écrouler sur le sol sans me relever. Du haut de mes presque vingt ans, j’ai supporté de nombreuses humiliations, et j’y ai même pris un incroyable plaisir, mais tout cela en étant consciente et maîtresse de mes actes, en sachant que je restais maîtresse de ma situation, et par deux fois ce jour-là, je m’étais retrouvée incapable de reprendre le contrôle de ce qui se déroulait. Je n’imaginais pas encore jusqu’où cela me conduirait…

Lorsque je vis les pieds d’Edward s’approcher de mon visage, je maîtrisai mes larmes, les transformant en petits sanglots pathétiques, de ces qui collaient parfaitement avec mon personnage de victime. Il me coucha sur le dos, et souleva ma tête, et j’aperçu son visage, un peu flou et lointain au-dessus de moi. Je battis des paupières, essayant de dire quelque chose, mais aucun mot ne sortit de ma bouche pâteuse. Il me souleva du sol et me transporta vers une chaise, un peu plus loin, où je restai assise en équilibre précaire en attendant qu’il sorte de la pièce et y revienne, pour nettoyer mon bras couvert de sang avec quelques essuies-touts détrempés. Je le laissai faire, grimaçant lorsqu’il passait trop près de ces lettres ensanglantées qui marqueraient sans doute mon bras pour une éternité, ou plus. Mes pensées s’éloignèrent rapidement sur le problème qui se posait à moi. Les problèmes, plutôt. Une visite à l’hôpital occasionnerait des questions auxquelles il me serait difficile de répondre. De plus, pour la première fois depuis six mois, mon propre sang se trouvait sur les lieux du crime. Aller à l’hôpital serait la meilleure façon de se jeter dans la gueule du loup. Et cette marque, sur mon bras, était bien trop reconnaissable. Il me faudrait la cacher, mais comment ? Je remarquai alors qu’Edward était retourné à sa vaisselle… Non, je n’irai pas à l’hôpital. Je pris une voix faible et apeurée pour prononcer ces quelques mots…

Non… pas…l’hôpital… Mon visage livide et la peur, réelle, qu’il pourrait lire dans mes yeux étaient mon meilleur argument…

En entendant la jeune fille qui refusait d'aller à l'hôpital, Ed' leva la tête, haussa un sourcil interrogateur, et replongea dans sa vaisselle sale sans rien dire. Quelques instants passèrent, durant lesquels on n'entendit que le bruit de l'éponge frottant contre les assiettes et les éclaboussures occasionnées, puis il brisa le silence.

"Et tu comptes faire quoi, si tu vas pas à l'hôpital ? Il faut te faire recoudre... Et même si je suis parfaitement capable de repriser les vêtements, j'ai jamais appris à recoudre les jolies filles."

Nouveau silence. Bruits de vaisselle. Edward finit par lâcher un soupir et se dirigea vers le fond de la cuisine, où était accroché un petit placard métallique. Il l'ouvrit dans un grincement et en ressortit une petite bouteille remplie d'un liquide incolore. Pas d'étiquette. Il l'ouvrit et la porta à son nez... avant d'avoir un grand geste de recul. De l'éther. Perdu. Il farfouilla encore un peu et ressortit un second flacon identique. Il répéta la manoeuvre, cette fois en respirant plus doucement. Ce qu'il cherchait. Il attrapa également un rouleau de bande blanche.

Il s'approcha de la fille et versa une généreuse quantité d'alcool sur son torchon, avant de frotter doucement la blessure avec. Ceci fait, il enroula la bande, en serrant bien, autour du bras de sa collègue.

"Si dans deux jours ça a pas commencé à cicatriser je t'emmène à l'hôpital, même si il faut que je t'assomme. J'vais pas te laisser choper des saloperies juste parce que t'as peur du docteur."

Il lâcha un soupir las et retourna à son bac. Vivement qu'il en ait terminé avec ça, il commençait à être crevé.

Je devais éviter l’hôpital, c’était vital, pour moi et mes projets. Je ne su exactement ce qu’il en pensait. Il se concentrait sur sa vaisselle, et le bruit des assiettes cognant contre le fond de l’évier résonnait dans mon crâne fatigué. Je devais demander à Toni de me laisser dormir ici pour cette nuit. Je n’étais pas en état de retourner à mon squat, et refusais d’indiquer à quiconque où se trouvait ma… résidence, planque, ou quoi que ce soit. Non, la planque est un mot utilisé par les criminels. Et je n’en étais pas une, c’était une certitude. Ma folie meurtrière était commandée par une main divine, j’avais été façonnée par la vie pour en arriver à ce point, et il devait y avoir une raison. J’hésitais tout de même à mettre Dieu là derrière. S’il existait, pourquoi avait-il créé les mutants et les hommes ?

Puis il brisa le silence, m’indiquant qu’il fallait recoudre cette plaie, et que lui n’en était pas capable. De l’index de ma main gauche, j’effleurai alors ma blessure, et je grimaçai de douleur. Il n’avait pas tort mais, pour moi, l’hôpital n’était pas une option. Que comptais-je faire si je n’allais pas à l’hôpital ? J’haussai les épaules, nouvelle grimace de douleur, et il retourna à sa vaisselle. Je n’avais rien à dire, mais je remarquai une chose. Ou plutôt une absence, dans ma poche. Ma seringue. Où se trouvait donc ma seringue ? L’avais-je laissée là-bas ? Avais-je commis cette imprudence fatale ? Un coup d’œil affolé autour de moi me permis de la repérer, sur le sol, là où j’étais couchée un peu plus tôt. Je laissai échapper un soupir de soulagement, suivant de peu celui du plongeur, qui se dirigea vers la pharmacie. Bien, il était de mon côté pour le moment, il ne me conduirait pas à l’hôpital. Après avoir cherché dans les flacons, il revint vers moi, et désinfecta les deux lettres gravées dans mon bras, m’arrachant un petit gémissent de douleur. Bien que je ne sache pas si j’avais réellement mal. Cette sensation se confondait avec tant d’autres déjà ressenties, il était possible que ce gémissement soit plus un réflexe lui venant de mes occupations plutôt qu’une trace d’une réelle douleur provoquée par l’alcool. Comment savoir ? Nouveau gémissement lorsqu’il serra la bande sur mon bras. Je me pris à espérer que le sang ait fini de couler, et que cette bande reste blanche, ce qui serait plus discret…

Alors qu’il était retourné à sa vaisselle, je restai choquée par l’une de ses paroles… « parce que tu as peur du docteur »… « peur du docteur »… Non, je n’ai pas peur du docteur ! Des images du docteur Bernardini s’imposèrent à mes yeux. Depuis le premier regard jusqu’au jour où il s’était fait exploser la cervelle au dessus de mon lit. Prise d’une soudaine crise, je me relevai, vacillant sur mes jambes faibles, et criai d’une voix stridente et pleine d’une terreur dont je connaissais et à la fois ignorais la nature…

Non ! Je n’ai pas peur du docteur, pas peur du docteur, pas peur du docteur !

Avant de m’effondrer sur le sol une nouvelle fois, le corps secoué de sanglot, ayant perdu tout contact avec la réalité, revenue au temps où, clouée sur un lit, je n’étais qu’un jouet, une étude, un projet scientifique…

Edward eut tout juste un léger mouvement de recul lorsque Ai s'effondra en sanglots sur le sol. Il fronça les sourcils, assez inquiet, sans cesser de frotter ses assiettes.

"Ok c'est bon calme-toi je voulais pas te vexer..."

Sans quitter du regard le petit corps recroquevillé par terre, il continuait à laver les assiettes, une par une... Jusqu'au moment où, constatant qu'elle ne se calmerait pas, il laissa tomber son éponge sur le plan de travail et lâcha un soupir agacé.

"Putain j'y arriverai jamais là..."

Il s'agenouilla près de sa collègue, la souleva sans trop de mal, et la serra contre lui en prenant soin de lui immobiliser au mieux les bras... au cas où l'envie lui viendrait de le frapper... Mieux valait prévenir.

"Quand tu seras calmée je te ramène chez toi..."

Il espérait simplement que ça suffirait à la calmer... Il n'avait aucune envie de passer la nuit à veiller sur elle... C'était pas comme si il n'avait que ça à faire.

Quand sa collègue eut enfin retrouvé une respiration normale et eut cessé de sangloter, Edward la repoussa doucement et se releva. Il essuya machinalement son pantalon et la toisa quelques instants.

"Dormir ici ? Ouais, pourquoi pas. Faudra que tu trouves une excuse pour ça, Tony te posera des questions" fit-il en désignant du doigt le bandage sur le bras de la jeune femme. "D'ailleurs j'aimerais bien savoir qui est le sadique qui t'a fait ça, et pourquoi. Non pas que ça me regarde ou que j'en aie quoi que ce soit à faire mais..."

Il s'interrompit pour bailler... et ne termina jamais sa phrase. Sans un mot de plus, il tourna les talons et retourna à son bac. Soudain, l'évidence lui arriva à l'esprit. Il fallait qu'il la revoie, qu'il lui parle. Il connaissait les endroits où elle avait l'habitude de traîner, le soir. Si il y allait assez régulièrement, il avait toutes les chances de la croiser. Peu importe ce qu'il dirait, ou ce qu'elle dirait. Il devait le faire, tout simplement. Un sourire fugace se dessina sur ses lèvres avant de disparaître aussi sec.

Il fronça les sourcils en frottant un peu plus dur sur une tache récalcitrante. Il n'allait quand même pas se laisser ennuyer par peu de graisse, si ?

Après une crise de larmes, le monde va mieux, pour la plupart des gens. Mais je ne suis pas la plupart des gens. Je suis quelqu’un d’unique. Et si les larmes sortent, la source du mal reste bien présente en mon corps. Aucune crise de larmes ne m’a jamais libérée de mes démons, aucune crise de larmes ne m’a jamais rendu ma dignité ou mes forces. Mais même si rien n’avait changé, j’étais plus calme. Comme si après une petite pause infime, le monde avait tranquillement repris sa course immonde vers la vieillesse, la dégénérescence et ce but ultime de toutes vies, la mort. Edward, avant de retourner à sa vaisselle, approuva mon idée de demander à Toni pour dormir ici, tout en soulignant le problème qui allait se présenter. Le grand patron voudrait savoir pourquoi… Mais oui, pourquoi ? Je trouverais bien, j’improviserais… Et j’ai trouvé rapidement… Je n’avais qu’à utiliser ce monstre d’Arthur Wilson. Dire que j’avais peur qu’il me retrouve. De toute façon, il se passerait un temps avant que l’on ne le retrouve dans sa chambre. Ou bien Toni enverrait quelqu’un directement, et le problème serait vite réglé… Et d’ailleurs, en parlant d’Arthur Wilson, autant le dire tout de suite, comme ça… Alors qu’Ed retournait à sa vaisselle après un bâillement, je m’apprêtais à rejoindre la salle du Se7en, tout en lui répondant…

Celui qui m’a fait ça ? Arthur Wilson… Je le trouvais adorable, avant.

Je portais la main à mon bandage, esquissant une grimace triste, celle de la pauvre fille qui s’est encore fait avoir. Je devais être exaspérante, pour certaines personnes. La petite conne totalement naïve qui tombait dans les bras du premier enfoiré venu qui lui faisait un sourire. Mais ce rôle m’allait tellement bien, taillé à ma mesure, parfaite couverture…

Je vais aller parler à Toni…